1er octobre 1986 : Jean Paul II fait confirmer le caractère « désordonné » de l’homosexualité.

John O’Hara (1987), manifestants homosexuels s’opposant à la visite de Jean Paul à Los Angeles, the Chronicle.

Jusqu’en 1986, à l’image de l’Église, Jean Paul II s’était peu exprimé sur l’homosexualité . En 1975, toutefois, face à cette réalité sociale et politique émergente, son mentor Paul VI avait fait rappeler par la Congrégation de la Doctrine de la Foi que l’homosexualité, au même titre que la masturbation et la pornographie, était moralement mauvaise et que la société n’avait pas à l’accepter.

Alors que nombreux problèmes pastoraux se posaient, notamment en Europe et en Amérique du Nord, beaucoup étaient impatients de savoir ce que pensait le nouveau pape. Faut-il donner l’absolution lorsqu’un catholique homosexuel, en couple, meurt sans vouloir se séparer de la personne avec laquelle il vit ? Avec l’épidémie du sida, la question se pose souvent. Que faire en tant que prêtre lorsque des homosexuels fréquentent les paroisses ? Et comment, en tant qu’évêques, se positionner face aux demandes politiques de lutte contre les discriminations ou de nouveaux droits civiques ? 

Jean Paul II, docteur et professeur de théologie morale, ne pouvait pas laisser passer une occasion de rappeler ses certitudes et comme sur d’autres dossiers, enjambant la collégialité du travail théologique, il imposa ses vues sur un dossier complexe. Le pape demanda à Joseph Ratzinger son fidèle bras droit à la tête de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi de lui composer un texte. Intitulé « lettre aux évêques de l’Église catholique sur la pastorale à l’égard des personnes homosexuelles », ce dernier modèle jusqu’à aujourd’hui l’enseignement du Vatican à l’égard des personnes homosexuelles.

Au cœur de l’argumentation, on trouve cette expression d’un désir homosexuel comme  « intrinsèquement désordonné ». La distinction actes/personnes qu’elle pose conduit à proposer aux homosexuels catholiques comme seule échappatoire le célibat et l’absence de rapports sexuels. Cela n’efface d’ailleurs pas le fait que, dans ce texte, c’est bel et bien l’inclinaison en elle même qui est mauvaise.

On retrouvera cette même intransigeance dans le Catéchisme de 1992 de l’Eglise catholique et elle est à l’origine de bien des mobilisations contre les unions civiles et le mariage homosexuel que l’on connaîtra ultérieurement. S’enracine donc dans le pontificat du pape polonais l’une des ruptures majeures entre la société et les catholiques, du moins en Occident. Comme sur d’autres enjeux de genre et de bioéthique, Jean Paul II fait basculer à ce moment là l’Eglise dans l’intransigeance, quand bien même de nouveaux mouvements, aidés par certaines évêques et théologiens s’efforçaient à tracer de nouveaux chemins.

Comment croire un pape, et sa suite l’Eglise, qui met en avant les droits des hommes et des femmes et l’amour de Dieu pour tout être humain mais qui condamne les personnes homosexuelles, à cause de ce qu’elle sont, à une vie de pénitence ?  Le Pape François, suite à deux synodes sur la Famille essaie de corriger le tir… Timidement.

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27 avril 2014 : la canonisation précipitée de Jean Paul II.

Qui a poussé les cris de « Santo subito » le jour des obsèques de Jean Paul II sur la place Saint-Pierre ? L’ensemble du Peuple de Dieu, éploré par la perte du plus grand pontife du 20ème siècle, vainqueur du communisme et restaurateur d’une Église sûre d’elle-même, ou bien un petit groupe d’individus à l’agenda depuis longtemps défini ?

À y regarder de plus près, le profil des thuriféraires est bien marqué. Foccolari, Légionnaires du Christ, ils sont issus des nouvelles communautés, qui ont déclassé les vieux ordres à la démographie laissée exsangue dans l’après-Concile. Célébrer Jean Paul II et en faire un saint, c’est protéger idéologiquement ce qui leur est le plus important : une théologie de la puissance, des vocations nombreuses et des certitudes. Et le processus n’est pas fini : l’épiscopat polonais a introduit cette année la cause en béatification des parents du pape Wojtyla et certains veulent en faire pas moins qu’un « docteur de l’Eglise ».

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Robert LAYMONT (2014), la cérémonie de canonisation de saint Jean XXIII et saint Jean Paul II, 27 avril 2014, Wikipédia : Creative Commons.

N’est-ce pas trop, et trop rapide, pour un seul homme ? 15 ans près sa mort, les doutes apparaissent. Poursuite de l’érosion démographique, de la pratique et des vocations, scandales à répétition autour d’affaires d’abus et de pédocriminalité, perte de sens du catholicisme dans nos sociétés occidentales… Le pape François essaie de promouvoir une Eglise des pauvres, consciente de sa faiblesse, au service des enjeux de ce monde. Le temps n’est-il pas venu de faire l’inventaire de pontificat aussi éclatant qu’encombrant ?

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5 mars 1983 : Jean Paul II humilie publiquement le prêtre et poète Ernesto Cardenal.

À sa descente d’avion, Jean Paul II a l’air sévère. Il vient d’arriver au Nicaragua, petit État d’Amérique centrale. Sur le tarmac, le poète Ernesto Cardenal, prêtre canoniquement relevé de ses fonctions religieuses selon les exigences de Rome, attend le pape en tant que Ministre de la Culture. Alors que le vieil homme s’agenouille respectueusement, Jean Paul II le prend violemment à parti. Publiquement, il le tance lui demandant de se « réconcilier » avec l’Église. À travers lui, le pape polonais fait la leçon à tout un continent. Comme il l’a annoncé à la conférence des évêques latino-américain à Puebla au Mexique en 1979, certaines expressions de « l’option préférentielle des pauvres » (pastorale née de la rencontre des Églises du continent et de Vatican 2) doivent être combattues. Jugeant la réalité latino-américaine à partir de son expérience polonaise, Jean Paul II ne peut envisager aucune compromission de la foi catholique avec le marxisme.

Une expression, forgée par le puissante Congrégation de la Doctrine de la Foi, sous la férule du cardinal Joseph Ratzinger, désignera plus précisément l’ennemi : la « théologie de la libération ». Si pour les historiens, il y a une diversité de pensées chrétiennes (et pas que catholiques) de libération, le Vatican désigne sous ce vocable toute tentative d’importer la « praxis » du marxisme au sein de la théologie. Est condamné également tout discours qui critiquerait l’inégalité au sein de l’Église… Cette vision suspicieuse des engagements catholiques progressistes conduira le pape à être indulgent à l’égard des régimes d’ordre, dont le Chili du général Pinochet, et intransigeant avec le gouvernement sandiniste auquel participe Cardenal… Cette même rigueur l’amènera à mal considérer des personnalités aussi charismatiques que Dom Helder Camara pour promouvoir l’Opus Dei ou les légionnaires du Christ… 

(1983), « vous devez d’abord vous réconcilier avec l’Église ! », la Croix.

Les papes Benoit XVI puis François tâcheront de corriger le tir en faisant bienheureux puis saint Oscar Romero, mort en « martyr » défendant une « Église des pauvres », alors que Jean Paul II n’envisagea jamais aucune forme de réconciliation . Aujourd’hui, les Latino-américains sont tentés par les Églises néo-pentecôtistes, qui promettent ou « prospérité » ou « guérison », quelle part eut Jean Paul II dans cette désaffection ? La piété populaire qu’il promut, remettant peu en cause les structures économiques et les élites conservatrices en place, y est-elle pour quelque chose ?

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1er juin 1980 : le cardinal Marty qualifie Jean Paul II de « sportif de Dieu ».

tiré de Sam GUZMAN (2014), « 20 Images that prove St. John Paul II was the coolest saint ever », Pinterest.

C’est François Marty le cardinal-archevêque de Paris, qui dans le Parc des Princes, le mythique stade de foot du Paris Saint-Germain, a eu ce bon mot. Il demanda aux jeunes Français présents d’accueillir Jean Paul II comme le « sportif de Dieu ». L’expression fit le tour du monde… L’image n’est pas nouvelle : on la trouve dans les textes de saint Paul et des pères de l’Église. En revanche, un pape athlétique, qui se fait creuser une piscine dans sa résidence de Castel Gandolfo, fait du ski et qui est connu pour aimer randonner, c’est complètement inédit ! Pie XI, alors qu’il était cardinal avait gravi le versant italien du Mont Blanc, mais les papes de la seconde moitié du 20ème siècle, qu’on pense à Jean XXIII, au ventre rebondi, Paul VI, pâle et insomniaque ou encore Jean Paul Ier, cardiaque, ne brillaient pas par une santé éclatante !

Si, en 1978, le conclave s’est porté vers le fringant cardinal Wojtyla c’est peut-être que les cardinaux étaient bien conscients des enjeux de l’époque. De nombreux prêtres quittaient les ordres pour se marier et les premières contestations liées à l’homosexualité du clergé frémissaient. En donnant l’image d’un prêtre en bonne santé, viril et sûr de lui, Jean Paul II montre qu’on peut concilier une masculinité plus standard et le sacerdoce et fait taire les rumeurs. Un souverain pontife se faisant déposer par hélicoptère au sommet d’une montagne pour s’offrir une belle descente à  ski choquerait  peut-être aujourd’hui notre sensibilité écologique mais à l’époque cela constituait une campagne de communication inédite.

Ce corps puissant et glorieux a connu bien des vicissitudes : un attentat, en 1981, qui a failli le tuer, puis la vieillesse et la maladie de Parkinson. Dans les années 1990, les expédients ne suffisent plus à cacher les difficultés d’un homme qui ne souhaite pas renoncer avant d’avoir accompli son projet : mener l’Eglise jusqu’au jubilé de l’an 2000.  À quel prix ce refus d’une renonciation s’est-il effectué : abus de faiblesse d’un homme diminué forcé de se remettre entre les mains de la Curie ? Idéalisation de la vocation jusqu’à un point où même son successeur, Benoit XVI, fut incapable de suivre ? Imposition à l’ensemble du catholicisme d’une théologie de la souffrance contestable ? Le corps de Jean Paul II est bel et bien au coeur des débats de ce pontificat.

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7 octobre 1979 : Sœur Teresa Kane demande à Jean Paul II l’accès des femmes aux ministères.

Archives de l’Université de Notre-Dame, Hesburg Libray, CLCW 1992-172, photographie 25.

Jusqu’à ce voyage aux USA, Jean Paul II n’a pas fait de faux pas. Les voyages du nouveau pape s’enchaînent avec succès : au Mexique, les évêques acquis à la théologie de la libération ne l’ont pas fait trébuché ; en Pologne, il a commencé à soulever le joug de la domination soviétique ; et voilà que les États-Unis l’accueillent avec enthousiasme. Mais aux derniers jours de son périple triomphant, dans la basilique de l’Immaculée Conception de Washington, pour la première fois, quelqu’un se dresse sur son chemin. C’est sœur Teresa Kane, supérieure des Sœurs de la Pitié. Elle s’exprime alors en tant que présidente de la Conférence générale des religieuses américaines : « les religieuses des États Unis ont répondu de manière obéissante aux efforts de renouveau réclamés par l’appel de Vatican II ». Mais, en conséquence de ce renouvellement, la religieuse n’ose rien moins que de demander « d’inclure les femmes en tant que personnes dans tous les ministères de l’Église ». L’atmosphère est glaciale et le pape, qui ne desserre pas la mâchoire, élude la proposition et répond en rappelant l’importance du costume religieux…

Ce voyage aux États-Unis de 1979 révèle bien les ambivalences du pontificat qui s’annonce. D’un côté, le Times Magazine titre « Jean Paul II superstar » et de l’autre les questions graves et en suspens depuis la fin du concile sont écartées comme nulles et non avenues. Les crispations sur les mœurs, la bioéthique, la question des ministères ou les règles de gouvernance dans l’Église apparaissent dès les premiers pas du nouveau souverain pontife. Mais sa manière de faire, les rassemblements qu’il suscite et la façon dont il fait du voyage pontifical un outil pastoral et diplomatique détonnent.

Jean Paul II est, comme Margareth Thatcher et Ronald Reagan un personnage de ces années 1980, qui voient l’affirmation de forces conservatrices. Après des décennies de recul dans le monde des médias et de la culture, il s’agit de regagner le terrain perdu. Pour autant, les catégories de gauche et de droite ne sont pas pertinentes pour comprendre la pensée d’un pape qui sut condamner autant le marxisme que les excès du capitalisme. En érigeant une « raison d’Église » Jean Paul II cherche, avant tout, à mettre fin au temps du doute à l’intérieur du catholicisme et à promouvoir, via son charisme personnel, une théologie de la puissance sans délibération collective. Rétrospectivement il aurait été sans doute été préférable d’écouter sister Kane.

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16 octobre 1978 : élection providentielle … ou attendue de Jean Paul II ?

Qui est Karol Wojtyla lorsqu’il est élu pape en octobre 1978 ? Plus ou moins renseignés, les présentateurs français de la première chaîne de télévision avancent avec assurance qu’ « il a 58 ans et c’est l’un des plus jeunes cardinaux. Jamais son nom n’avait été prononcé parmi les papabile ». L’histoire comme souvent, est plus complexe que le récit qui se met en place dans les médias. A y regarder de près, si la surprise est réelle avec l’élection du premier pape non italien depuis la Renaissance, elle n’est pas totale. En octobre 1978, si le cardinal Wojtyla n’est pas le candidat le plus côté des bookmakers, il a compté parmi les outsiders crédibles.

A vrai dire, c’est un ensemble de facteurs bien particuliers et la volonté tenace d’un homme ambitieux qui ont conduit une Eglise en proie à une crise multiforme à se porter vers un cardinal polonais. « Premier pape ouvrier », homme inattendu venu d’une « Église du silence » coincée sous la chape du communisme soviétique, « choix providentiel » du conclave guidé par l’Esprit Saint, il convient peut-être de démystifier ce que les récits hiagographiques ont fait circuler. En 1978, le cardinal Wojtyla, bien qu’il ne réside pas à la Curie, est une créature ecclésiastique de premier plan, qui rend des services à Paul VI et travaille à limiter la poussée réformatrice au sein des synodes romains.

Quel concours de circonstances ont en réalité conduit  le Karol Wojtyla au plus haut sommet de l’Eglise ? De quels réseaux de soutien a-t-il pu compter et pourquoi les épiscopats allemands, américains et du Tiers-monde se sont-ils mis à croire à lui ? Comment le choix s’est-il porté sur ce cardinal là qui propose une interprétation de la rupture induite par le concile Vatican II a minima ?

Tenan (2013), la bénédiction « urbi et orbi » après un conclave (ici le Pape François), Wikimédia : Creative Commons.

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25 juillet 1968 : Karol Wojtyla à la rescousse de Paul VI pour condamner « la pilule ».

Ne nous y trompons pas, ce n’est pas Jean Paul II mais bien l’un de ses prédécesseurs, Paul VI, qui proclama l’encyclique Humanae vitae. Ce texte interdit le recours, pour les couples catholiques, aux contraceptifs « chimiques » en 1968. Arrivant dans un Occident en proie à des contestations portées par une génération qui cherche à inventer une nouvelle façon d’aimer et de gérer sa vie de famille, ce fut une véritable bombe et ceci même chez les catholiques. Pour les historiens, ce fut sûrement un accélérateur considérable du décrochage des femmes dans la pratique. Le dominicain Yves Congar s’en inquiète même dans une lettre à l’épiscopat français « il se pourrait que Rome ait perdu, en un coup, ce qu’elle a mis seize siècles à construire ».

A contre courant de plusieurs commissions de théologiens réunies par Rome, qui auraient voulu prendre un autre chemin, celui qui n’est alors qu’archevêque de Cracovie suit le pape Paul VI dans sa rigueur car il a des idées bien tranchées en la matière. Elles lui viennent de ses travaux en tant que professeur de théologie morale à l’université de Lublin. L’amour est pour lui le lieu par excellence où s’exprime la responsabilité individuelle. Alors que la jeunesse souhaite jouir sans entraves, il voit, au contraire, dans le fait de se contenir, même au sein du mariage afin de ne pas avoir d’enfants, ce qui fonde la grandeur de l’homme. 

Ceridwen (2006), Différents types de pilule contraceptive, Wikimédia : Creative Commons.

Devenu pape, Jean Paul II n’aura de cesse de revenir à cet enseignement, le développant via ses catéchèses hebdomadaires dans une « théologie du corps », qui, sans être un refus de la chair, la sacralise dans le couple hétérosexuel procréatif. Toute autre forme d’expression de la sexualité sera inlassablement dénoncée comme n’étant pas à l’image de Dieu dans sa création. Jean Paul II n’a pas non seulement reformulé, dans un sens très conservateur, un discours déjà existant mais il a demandé à toutes les instances de l’Eglise d’en faire la promotion sans chercher à en discuter le contenu ou à en envisager les limites pastorales. Même lorsque la question du contrôle des naissances est posée par l’ONU pour le développement des pays pauvres ou l’égalité entre femmes et hommes, le pape pèsera de tout son poids pour empêcher la promotion de la planification des naissances. Dans les années 1990, le « non possumus » prend un tour tragique avec l’épidémie du sida dont l’extension ne peut se contenir que par le recours au préservatif.

En se faisant le pape de l’intransigeance sur la question des moeurs et de la sexualité, Jean Paul II n’a-t-il pas durablement contribué au fossé entre l’Eglise et les nouvelles générations ? Et tout particulièrement les femmes ? 

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24 décembre 1959 : une messe de Noël fondatrice.

JMV (2012), La croix de bois de Nowa Huta devant l’église du quartier de Bienczyce édifiée à partir de 1967, Wikipédia : Creative Commons.

Réveillon de Noël 1959 : Karol Wojtyla, tout jeune évêque auxiliaire, célèbre une messe clandestine dans le quartier de Nowa Huta à Cracovie. Les autorités communistes ont décidé d’y édifier une cité modèle. Cette dernière doit être débarrassée de l’ « opium du peuple » qu’est le catholicisme. Mais le prélat de 39 ans ne l’entend pas de cette oreille. Relayant une demande ancienne de la population locale, il célèbre une cérémonie sur le site d’une simple croix de bois où, de guerre lasse, le Parti communiste polonais consentira en 1967 à la construction d’une église. Elle sera inaugurée en grande pompe et non sans fierté, deux ans plus tard, alors qu’il sera devenu cardinal. On trouve en réalité dans cet événement initial bien des éléments de la méthode de Jean Paul II : l’utilisation des émotions populaires, les mises en scène édifiantes et, avouons-le, un certain sens du spectacle.

Mais à quelles fins ? la défense des droits de l’homme ? ou plutôt une certaine idée de la puissance de l’Eglise ? Les deux mêlées peut-être, au prix des ambiguïtés et des malentendus avec l’opinion publique parfois. Revenu à proximité de ce quartier en 1979, lors de son premier voyage pastoral en Pologne en tant que pape, il dédie à la croix de Nowa Huta pas moins que la « nouvelle évangélisation » de l’Europe : un projet pastoral inouï, non prévu par Vatican II ni aucun synode ultérieure. Ce dernier mêle nostalgie d’une chrétienté médiévale, composée de nations catholiques organisées sous la crosse du pape, et les rassemblements propres à l’âge des masses. Les yeux rivés sur le Jubilé de l’an 2000, le pape entraîne l’Église dans son projet de reconquête.

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1er novembre 1946 : ordination de Karol Wojtyla, le futur pape de la défense d’un sacerdoce figé.

Karol Wojtyla, futur Jean Paul II, est ordonné prêtre le jour de la Toussaint 1946 dans une Pologne traumatisée par une occupation d’une incroyable cruauté. Sa formation au séminaire fut, à l’image de son destin ultérieur, hors norme. Elle s’est effectuée en secret, après que le jeune homme eut été soustrait au travail forcé dans une usine, et s’est déroulée sous la menace permanente d’une descente de police qui signifiait la mort pour tous. Si l’archevêque Sapieha a pris tant de risques c’est qu’il sait qu’après le massacre d’un nombre incalculable de prêtres par les nazis, qu’il aura besoin de cadres pour reconstruire une Eglise qu’il conçoit comme l’âme de la Nation polonaise. La vocation de Karol Wojtyla a assurément une part de mystère irréductible, que les explications psychologiques liées à l’enfance et ses traumatismes n’épuisent pas. Elle est aussi le fruit d’un moment inédit de l’histoire contemporaine où le sacerdoce a été vu comme le roc de l’opposition au totalitarisme.

Scotch MIST (2018), statue représentant Karol Wojtyla vicaire de Niegowic (juillet 1948 – août 1949) devant l’église paroissiale, Wikipédia : Creative Commons.

Jean Paul II n’eut de cesse de revenir théologiquement sur la question de la prêtrise. Il conçoit un sacerdoce qui fait du prêtre un « alter Christus« , un autre Christ, intermédiaire unique entre Dieu et les hommes. Ses références sont enracinés dans la longue culture catholique : François de Sales, Jean Bosco, Maximilien Kolbe et, bien sûr, le curé d’Ars. Le renouveau de Vatican II qui place le prêtre au sein des communautés comme ministre de la Parole est une dimension qui ne l’intéresse guère, de même que les expériences type « prêtre ouvriers » qui tendent à désacraliser la fonction par le travail et une vie plus ordinaire.

Jeune évêque, il sera le témoin de la crise du sacerdoce des années d’après-Concile. Inlassablement, il fera partie des défenseurs de la discipline du célibat. Partisan de la visibilité sacerdotale et d’une pastorale énergique des vocations, qu’il réclamera en tant que pape aux évêques en visite à Rome, il refusera tout débat ouvert avec les collectifs féministes catholiques et les théologiens sur la question des femmes et des ministères ordonnés.

Quelques décennies plus tard, alors que dans bien des lieux, sont apparus les ravages des abus de ce que François dans sa Lettre au peuple de Dieu appelle lui-même le « cléricalisme », que les vocations semblent se tarir, même dans les pays longtemps épargnés par la crise comme la Pologne, n’y a-t-il pas là une responsabilité à questionner? « Saint Jean Paul II » n’a-t-il pas engagé l’Eglise catholique dans une passe dangereuse et de laquelle il sera difficile à sortir ?

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