Il est un dossier sur lequel il est difficile de ne pas reconnaître l’aveuglement de Jean Paul II : celui des Légionnaires du Christ. Ce 30 novembre 2004 a lieu le jubilé de l’ordination de son fondateur Marcial Maciel. Pour l’événement une cérémonie pharaonique est organisée dans la basilique Saint-Paul-Hors-les-Murs. Un millier de fidèles sont venus. Au premier rang, on trouve les fameux men in black de la Légion du Christ. La congrégation d’origine mexicaine est alors au sommet de sa puissance avec son réseau d’écoles, de séminaires et d’universités. De riches donateurs, surtout en Amérique latine, ont cru à cet ordre. Ils leur semblent le plus à même de faire sortir l’Église de ce qui leur paraît être une ornière depuis l’après-concile. Dans la Légion, point de tropisme pour l’engagement sur le terrain de la justice sociale et la contestation des régimes autoritaires. En revanche, on met particulièrement en avant l’attachement à tout ce qui est institué dans l’Église : les costumes, les rites et les dévotions de jadis. Et plus que tout, on révère l’ordre et l’obéissance.
Jean Paul II, déjà considérablement affaibli, fait lire par un prélat un message à l’égard du « Révérend Père » qui a su « susciter des prêtres totalement consacrés à l’annonce de l’Évangile » avant de lui conférer une bénédiction. Si l’ordre de Maciel est si cotée à Rome, c’est qu’il pourvoit d’abondantes et serviables vocations. Alors que le recrutement sacerdotal s’écroule partout en Occident et en Amérique latine, comment ne pas être fasciné par l’affluence que parvient à obtenir la Légion ?
Derrière les apparences fastueuses, la réalité est plus glauque : Maciel est un manipulateur de génie. Surnommé « el padre », il veille jalousement aux destinées de milliers les jeunes hommes qu’il attire dans son ordre et qui, outre des lettres régulières leur donnant leur moindre sentiment, doivent lui promettre une obéissance spéciale et dénoncer tout ce qui irait contre lui. Et pour cause, le personnage a beaucoup à se reprocher : héroïnomane, prêtre concubinaire, il multiplie les doubles vies et il est aussi un prédateur sexuel qui abuse des séminaristes… Au plus haut niveau, pourtant, des doutes sont apparus. Le cardinal Joseph Ratzinger s’est d’ailleurs fait porter pâle ce jour d’automne 2004. Si beaucoup voient déjà Maciel comme un saint vivant, le cardinal allemand n’est pas dupe.
Que pouvait ou que voulait savoir Jean Paul II ? En ce qui concerne la Légion, les premières alertes remontaient pourtant à Pie XII… En 1997, une tribune était parue dans un quotidien américain. Rédigée par 8 anciens membres de la Légion, elle révélait le pot aux roses. Ces derniers avaient en vain écrit, à plusieurs reprises, personnellement une lettre au pape polonais. En vain…. En 2004, un premier livre d’enquête sortait aux États-Unis. Intitulé Vows of silence, il confirmait ce que l’on savait déjà : la Légion a été sous le règne de Maciel une immense machine à exploiter les corps et les consciences.
Et la Légion du Christ n’est pas qu’un accident. Sous Jean Paul II, nombre de communautés ont fleuri et ont été portées aux nues : Béatitudes, communauté des Frères et des Sœurs de Saint-Jean, Missionnaires de la Charité, Points-Cœurs, Emmanuel, Foccolari, Néocatéchuménat, Verbe de Vie. Elles se caractérisent toutes par un recrutement massif, d’éléments souvent jeunes et sans expérience, avec des règles annihilant petit à petit la personnalité. Leur avantage : présenter plus de certitudes que de doutes et mettre fin à l’hémorragie qui avait suivi le concile et la crise catholique. À quel prix cette restauration de l’Eglise s’est-t-elle donc fait humainement et spirituellement ? Jean Paul II ne porte-t-il pas une responsabilité non négligeable dans la crise des abus dont on voit aujourd’hui l’ampleur et la profondeur des ramifications dans le catholicisme ?
Pour en savoir plus sur Jean Paul II et découvrir des aspects moins connus d’un saint que certains ont souhaité voir canonisé en urgence au prix d’une série de difficultés dans l’Eglise catholique aujourd’hui :
Christine PEDOTTI et Anthony FAVIER, Jean Paul II, l’ombre du saint, Paris, Albin Michel, 330 pages.
Disponible en magasin : la Librairie, la Procure, la FNAC, Cultura, Amazon et dans toutes les bonnes librairies ! Et pour les « fans », le site Témoignage chrétien propose des exemplaires dédicacés.