À sa descente d’avion, Jean Paul II a l’air sévère. Il vient d’arriver au Nicaragua, petit État d’Amérique centrale. Sur le tarmac, le poète Ernesto Cardenal, prêtre canoniquement relevé de ses fonctions religieuses selon les exigences de Rome, attend le pape en tant que Ministre de la Culture. Alors que le vieil homme s’agenouille respectueusement, Jean Paul II le prend violemment à parti. Publiquement, il le tance lui demandant de se « réconcilier » avec l’Église. À travers lui, le pape polonais fait la leçon à tout un continent. Comme il l’a annoncé à la conférence des évêques latino-américain à Puebla au Mexique en 1979, certaines expressions de « l’option préférentielle des pauvres » (pastorale née de la rencontre des Églises du continent et de Vatican 2) doivent être combattues. Jugeant la réalité latino-américaine à partir de son expérience polonaise, Jean Paul II ne peut envisager aucune compromission de la foi catholique avec le marxisme.
Une expression, forgée par le puissante Congrégation de la Doctrine de la Foi, sous la férule du cardinal Joseph Ratzinger, désignera plus précisément l’ennemi : la « théologie de la libération ». Si pour les historiens, il y a une diversité de pensées chrétiennes (et pas que catholiques) de libération, le Vatican désigne sous ce vocable toute tentative d’importer la « praxis » du marxisme au sein de la théologie. Est condamné également tout discours qui critiquerait l’inégalité au sein de l’Église… Cette vision suspicieuse des engagements catholiques progressistes conduira le pape à être indulgent à l’égard des régimes d’ordre, dont le Chili du général Pinochet, et intransigeant avec le gouvernement sandiniste auquel participe Cardenal… Cette même rigueur l’amènera à mal considérer des personnalités aussi charismatiques que Dom Helder Camara pour promouvoir l’Opus Dei ou les légionnaires du Christ…

Les papes Benoit XVI puis François tâcheront de corriger le tir en faisant bienheureux puis saint Oscar Romero, mort en « martyr » défendant une « Église des pauvres », alors que Jean Paul II n’envisagea jamais aucune forme de réconciliation . Aujourd’hui, les Latino-américains sont tentés par les Églises néo-pentecôtistes, qui promettent ou « prospérité » ou « guérison », quelle part eut Jean Paul II dans cette désaffection ? La piété populaire qu’il promut, remettant peu en cause les structures économiques et les élites conservatrices en place, y est-elle pour quelque chose ?
Pour en savoir plus sur Jean Paul II et découvrir des aspects moins connus d’un saint que certains ont souhaité voir canonisé en urgence au prix d’une série de difficultés dans l’Eglise catholique aujourd’hui :
Christine PEDOTTI et Anthony FAVIER, Jean Paul II, l’ombre du saint, Paris, Albin Michel, 330 pages.
Disponible en magasin : la Librairie, la Procure, la FNAC, Cultura, Amazon et dans toutes les bonnes librairies ! Et pour les « fans », le site Témoignage chrétien propose des exemplaires dédicacés.